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Cactus et conflits génétiques

Par Fabrice Cendrin, le 2007/11/19.

Les faits décrits ici nécessitent, pour être bien compris, de considérer la question suivante comme étant le fil conducteur de tout l'article : “ Qu'est ce qui est transmis d'une génération à l'autre au cours de la reproduction des cactées ? ”. La réponse à cette question se déduit tout naturellement de l'observation des faits, et oblige à remettre en cause certaines idées sur la sélection.

Comme cela est détaillé ci-dessous, il existe quelques particularités observées chez les cactées, comme chez beaucoup d’autres plantes, qui peuvent trouver leur explication dans le vaste domaine des conflits génétiques existant au sein d’un organisme.

1- Des cactées aux fleurs femelles…

Chez des cactus aux fleurs normalement hermaphrodites – avec des organes mâles et femelles - l’apparition de fleurs uniquement femelles (avec des étamines peu ou pas développées, et ne produisant pas de pollen), donc « mâle-stériles » - ce terme sera préféré à fleurs femelles - est un phénomène qui n’est pas très rare.

Turbinicarpus pseudopectinatus Miquinhana
Turbinicarpus pseudopectinatus Miquinhana. Plante avec une fleur hermaphrodite à gauche et plante avec une fleur mâle-stérile à droite.



Turbinicarpus knuthianus
Turbinicarpus knuthianus. Coupe d’une fleur mâle-stérile à gauche et d’une fleur hermaphrodite à droite.



Notocactus ottonis cv. venclu
Notocactus ottonis cv. venclu avec des fleurs mâle-stériles.

En règle générale, l’apparition de fleurs femelles sur des plantes normalement hermaphrodites résulte de la simple disparition de la fonction mâle : comme toute fonction, la fonction sexuelle peut être perdue chez une plante, de la même manière que la fonction photosynthétique peut être perdue sur une plante qui ne présente pas la couleur verte habituelle. Il a été montré que la disparition ou l’immaturité des organes mâles prend habituellement sa source dans les conflits génétiques qui existent au sein d’un même individu.

1.1- Les exemples de Mammillaria dioica et Coryphanta elephantidens :

Mammillaria dioica est une espèce qui présente un certain polymorphisme dans son milieu naturel et qui est représentée en culture sous des formes distinctes. A. de Barmon note que pour chacune des références Lau 44 et SB 1602 les plantes se répartissent en 2 types qui produisent chacun toujours la même sorte de fleur : un type dont l’observation des fleurs révèle une absence de pollen (mâle-stériles) et donc des fleurs femelles, et un autre type à fleurs hermaphrodites. Les individus se répartissent pour moitié environ dans chaque type. Les anthères des plantes mâle-stériles sont présents mais atrophiés, indéhiscents à maturité et ne contiennent pas de pollen viable. Il n’y a pas d’éléments convaincants quant à l’existence de plantes mâles.

Mammillaria dioica SB 1602
Mammillaria dioica SB 1262, à gauche des fleurs mâle-stériles et à droite une fleur hermaphrodite.



Mammillaria dioica SB 1602
Mammillaria dioica SB 1602, en haut coupe d’une fleur mâle-stérile et en bas coupe d’une une fleur hermaphrodite.

La dioecie de l’espèce (situation dans laquelle certains individus sont mâles et d’autres femelles) n’est donc pas établie, et nous sommes plutôt en présence de gynodioecie (coexistence de femelles et d'hermaphrodites), comme cela a été remarqué dans des populations californiennes (F. R. Ganders et H. Kennedy, 1978).

Mammillaria dioica SB 1602
Mammillaria dioica SB 1602, fleur mâle-stérile.



Mammillaria dioica SB 1602
Mammillaria dioica SB 1602, fleur hermaphrodite.

Dans un autre genre, Coryphantha elephantidens se présente comme une espèce dans laquelle environ 90% des plantes sont mâle-stériles et 10% des plantes sont hermaphrodites.

Coryphanta elephantidens
Coryphanta elephantidens avec une fleur mâle-stérile.



Coryphanta elephantidens
Fleur mâle-stérile de Coryphanta elephantidens.



Coryphanta elephantidens
Fleur hermaphrodite de Coryphanta elephantidens

Les phénomènes de stérilité mâle sont universellement répandus chez les angiospermes et, historiquement, le thym constitue un modèle pour ces conflits génétiques intra-individuel (ou conflits intra-génomiques) : c’est sur cette plante méditerranéenne que les études les plus complètes ont été conduites.
Le thym est une plante considérée comme hermaphrodite, mais les populations sont rarement constituées d’individus uniquement hermaphrodites, et les individus mâle-stériles peuvent parfois atteindre une proportion qui monte jusqu’à 90% (comme chez C. elephantidens). Aucun individu mâle (femelle-stérile) n’a jamais été observé chez le thym. Nous sommes là aussi en présence de gynodioecie et, comme chez M. dioica, les fleurs mâle-stériles présentent encore certains caractères mâles plus ou moins développés. En général, quand les plantes mâle-stériles représentent une proportion importante de la population, le phénotype sexuel est souvent difficile à définir, mais ce n’est pas le cas chez le thym.
Darwin, en 1877, à partir de l’exemple du thym, s’est demandé comment des individus uniquement femelles pouvaient être sélectionnés et perdurer au sein d’une population se reproduisant par voie hermaphrodite. En 1941, le botaniste D. Lewis a soupçonné que la solution se trouvait au niveau de la différence de transmission à la descendance du matériel génétique du noyau et du cytoplasme. Depuis, de très nombreuses études moléculaires ont été conduites et il est aujourd’hui connu que la gynodioécie observée chez les plantes est le plus souvent liée à un déterminisme nucléo-cytoplasmique du sexe.

1.2- Considérons d’abord le cas du matériel génétique au niveau du noyau des cellules :

Le noyau de la cellule contient l’essentiel du matériel génétique, sous forme de chromosomes. Chez toute plante, ces gènes nucléaires ont été hérités pour moitié du père (pollen) et moitié de la mère (ovule).

  • Chez une plante mâle-stérile, chaque graine produite contient pour moitié le génome de la plante mâle-stérile elle-même et pour moitié le génome d’une plante hermaphrodite qui l’a fécondée. Les plantes mâle-stériles participent donc à la transmission des gènes nucléaires des plantes hermaphrodites.
  • Chez une plante hermaphrodite, l’inverse n’est pas vrai : chaque graine produite ne contient que les gènes nucléaires d’une plante hermaphrodite (uniquement les siens en cas d’autofécondation, ou aussi ceux d’un autre hermaphrodite qui l’a fécondée).

Il s’ensuit de cela que les gènes nucléaires des plantes hermaphrodites se reproduisent beaucoup mieux que ceux des mâles-stériles, et que ces derniers auraient donc du disparaître de la population si le caractère mâle-stérile est codé par les gènes du noyau. La stérilité mâle n’est donc pas issue des gènes du noyau.

1.3- Considérons maintenant le cas du matériel génétique du cytoplasme :

Partons d’abord du principe qu’une plante, comme tout organisme vivant, dispose d’une quantité limitée de ressources pour vivre, et elle peut choisir d’allouer ses ressources à la production de pollen ou de graines. Les plantes mâle-stériles produisent généralement plus de graines que les plantes hermaphrodites. Ces processus d’allocation de ressources entre les différentes fonctions sont aujourd’hui bien connus (on appelle ça, comme en économie, le « coût d’opportunité »).
Le cytoplasme des cellules contient des mitochondries et des chloroplastes qui possèdent leur propre ADN, et tous les individus les héritent en totalité de la mère, car le pollen ne contient aucun de ces organites. Ces gènes cytoplasmiques sont donc mieux transmis à la descendance par une plante qui consacre l’essentiel de ses ressources à une augmentation de la fécondité de sa fonction femelle (plus de graines), plutôt que par une plante hermaphrodite qui partage ses ressources dans la production des 2 sexes. Tout gène cytoplasmique qui est capable de bloquer la fonction mâle des plantes hermaphrodites - donc de créer des plantes mâles-stériles - sera sélectionné favorablement et verra sa diffusion augmenter dans la population.

Schéma : les différences entre la diffusion des gènes des plantes hermaphrodites et mâle-stériles.

A gauche : En consacrant la totalité de ses ressources à sa fonction femelle, la plante mâle-stérile produit plus de graines (en dessous) que la plante hermaphrodite. Si on postule que la plante mâle-stérile produit 4 graines :

  • les gènes nucléaires d’un hermaphrodite (en rouge) sont reproduits 4 fois par voie paternelle,
  • les gènes nucléaires d’un mâle-stérile (en bleu) sont reproduits 4 fois par voie maternelle,
  • les gènes cytoplasmiques d’un mâle-stérile (en jaune) sont reproduits 4 fois par voie maternelle.


A droite : En partageant ses ressources entre ses 2 fonctions sexuelles, la plante hermaphrodite produit moins de graines (en dessous) que la plante mâle-stérile. Si on postule que la plante hermaphrodite produit 2 graines :

  • les gènes nucléaires d’un hermaphrodite (en rouge) sont reproduits 2 fois par voie paternelle et 2 fois par voie maternelle,
  • les gènes cytoplasmiques d’un hermaphrodite (en vert) sont reproduits 2 fois par voie maternelle.


Donc, sur un total de 6 graines produites :

  • les gènes nucléaires d’un mâle-stérile (4 copies) se reproduisent 2 fois moins que les gènes nucléaires d’un hermaphrodite (8 copies).
  • les gènes cytoplasmiques d’un mâle-stérile (4 copies) se reproduisent 2 fois plus que les gènes cytoplasmiques d’un hermaphrodite (2 copies).



Les gènes nucléaires et cytoplasmiques ont des « intérêts » qui divergent et subissent donc des forces de sélection complètement opposées. Il s’avère que la cellule est constituée de compartiments n’ayant pas la même hérédité, et en conflits les uns avec les autres pour leur reproduction. Les gènes du cytoplasme sont sélectionnés pour bloquer la production de pollen, car seule la voie femelle les transmet à la descendance. Les gènes du noyau opposent une résistance au cytoplasme en essayant de rétablir - plus ou moins efficacement - la fonction mâle, car ils sont mieux transmis par des plantes hermaphrodites (Cosmides et Tooby, 1981).
Chez le thym, comme chez beaucoup d’autres plantes, cette guerre est sans fin. Suivant le nombre et la puissance des gènes cytoplasmique, et le pouvoir des gènes du noyau à leur résister, le nombre de plantes mâle-stériles pourra varier dans la population. Les mitochondries étant les centrales énergétiques de la cellule, et responsables de la respiration cellulaire, il est tentant de penser que le pouvoir de blocage de la fonction mâle par les mitochondries passe par un contrôle de la respiration cellulaire : ce n’est que rarement le cas. Il a été montré que certains gènes mitochondriaux ont pour seul et unique rôle de bloquer la production de pollen, et ces gènes sont divers et nombreux (P. Touzet ; P.H. Gouyon).
Quel est l’enseignement tiré de cette observation ? C’est que la sélection ne s’exerce pas sur des individus mais sur des gènes. Chez la plupart des plantes gynodioïques, comme sans doute chez M. dioica et C. elephantidens, la persistance d’individus mâle-stériles et hermaphrodites n’est pas due à un avantage adaptatif de ce polymorphisme pour l’espèce, mais à un simple conflit entre compartiments génétiques.

Dans le type SB 1602 de M. dioica, les plantes hermaphrodites sont incapables de produire des graines (A. de Barmon), ce qui pourrait indiquer une évolution vers une dioécie cryptique. Ce type d’évolution de la gynodioécie d’origine nucléo-cytoplasmique vers la dioécie est postulé par des modèles théoriques et suspecté chez beaucoup d’espèces.

2- Labilité des gènes de résistance à la stérilité mâle

Chez M. dioica et C. elephantidens, comme chez le thym, la présence d’individus mâle-stériles dans la population implique que les gènes de restauration de la fertilité mâle n’ont pas envahit la population. S’ils ne l’ont pas envahi, c’est qu’il doit exister un coût associé aux allèles restaurateur de la fertilité mâle, c'est-à-dire qu’ils doivent entraîner un désavantage pour les plantes qui les portent (Bailey et al., 2003).

La restauration de la production de pollen par les noyaux des cellules, pour contrecarrer le pouvoir stérilisant du cytoplasme, se fait grâce à des gènes qui sont assimilables à des gènes de résistance à la stérilisation. La particularité des gènes de résistance, dans leur ensemble, est que leur action présente souvent une toxicité ou un effet délétère pour les organismes chez qui ils sont présents. Cet effet délétère est plus ou moins important suivant le type d’effet biologique mis en jeu pour induire la résistance. Un effet délétère d’un gène nucléaire de restauration de la fertilité mâle a par exemple été mis en évidence chez la plante Brassica napus (P. Touzet, 2005).
Il s’ensuit de cet effet délétère que les gènes de résistance sont habituellement très facilement contre-sélectionnés si ils ne sont plus indispensables aux organismes ou que leur avantage adaptatif n’est pas fortement affirmé (par exemple, des gènes de résistance à un antibiotique disparaissent assez rapidement d’une population de bactéries en multiplication si jamais l’antibiotique n’est plus présent dans le milieu ; de même, les populations de moustiques ont perdu en moins d’une dizaine d’années la totalité de leurs gènes de résistance au DDT quand cet insecticide a cessé d’être utilisé).

Dans certaines conditions, une labilité de la résistance à la stérilisation cytoplasmique peut s’observer chez des populations de cactées qui présentent habituellement des populations hermaphrodites homogènes :

2.1- L’influence des conditions de culture

Du fait de cet effet délétère sur les plantes, la résistance à la stérilisation cytoplasmique est réglée à un niveau sub-optimal et les gènes nucléaires qui en sont responsables sont facilement contrecarrés ou perturbés par des variations des conditions de culture. Le stress thermique est connu pour être une cause générale de stérilité mâle chez les plantes. Chez les cactées, une température trop basse pendant le développement du bouton floral déclenche quasi-systématiquement une absence de pollen (communication A. de Barmon). D’autres facteurs comme la culture de tissus sont connus pour pouvoir déclencher une stérilité mâle chez les plantes produites par cette méthode.

2.2- L’hybridation

Une situation fréquente dans laquelle les conflits génétiques intra-génomiques sont présents, et ou la labilité des gènes de résistance à la stérilisation cytoplasmique est mise en évidence, concerne l’hybridation.

3- Conflits génétiques chez les cactées hybrides

Les conflits génétiques intra-individuels sont une découverte de la seconde moitié du XXième siècle, et la stérilité d’origine cytoplasmique a d’abord été observée chez les végétaux, notamment dans le cadre des hybridations. Il est connu que l’hybridation de certaines espèces de cactées n’est pas symétrique : le résultat de l’hybridation varie suivant si l’une ou l’autre espèce fournie le pollen ou l’ovule pour la formation de la graine. Cette asymétrie d’hybridation est assez fréquente dans le monde végétal.

3.1- Cactées hybrides mâle-stériles :

Chez les cactées, comme chez beaucoup de plantes, la stérilité mâle des hybrides est fréquemment observée.
En 1937, A. P. Saunders et G. L. Stebbins étudient l’hybridation chez les pivoines, et constatent que l’espèce Paeonia triternata Mlokosmitschii croisée avec d’autres espèces de pivoines donne des hybrides mâle-stériles, avec des anthères peu ou pas développés. Cependant ils notent que la dégénérescence des organes males de l’hybride se produit uniquement quand P. t. Mlokosewitschii est le donneur d’ovule, mais pas si ce dernier fournit le pollen. Stebbins et Saunders suspectent un effet cytoplasmique.
Que se passe t-il lors de ces croisements ? Les gamètes issus des deux plantes mettent en commun leur matériel génétique nucléaire pour former la graine. Cependant, le matériel génétique cytoplasmique n’est pas transmis à la descendance par les mâles (le pollen), mais par les femelles (les ovules). L’équilibre entre compartiments génétiques qui existait au sein de chacune des espèces parentales se trouve rompu dans certains individus recomposés : les gènes nucléaires de résistance à la stérilisation cytoplasmique de l’une des espèces ne sont pas capables de contrecarrer les gènes cytoplasmiques de stérilisation de l’autre espèce. La fabrication du pollen est bloquée et l’hybride est mâle-stérile.

Ferobergia
Fleur de Ferobergia (hybride de Ferocactus et Leuchtenbergia principis) mâle-stérile.



Lobivia X Matucana
Hybride Lobivia saltensis WR177 X Matucana madisoniorum (Alain Laroze) : chez cet hybride intergénérique il semble que la stérilité-mâle soit fréquente aussi.

Remarque : il convient de bien différencier la stérilité mâle de la stérilité totale (mâle et femelle) des hybrides, qui relève de causes totalement différentes. La fréquente stérilité totale des hybrides résulte généralement de l’impossibilité de conduire une méiose normale pour la production du pollen et des ovules, du fait que les chromosomes paternels et maternels ne peuvent pas s’apparier.

3.2- Hybridation asymétrique des cactées :

Le croisement effectué avec le pollen de Thelocactus bicolor déposé sur le stigmate de Thelocactus setispinus donne des fruits avec graines quasi systématiquement. Le croisement effectué dans l’autre sens - pollen de T. setispinus sur stigmate de T. bicolor - ne donne aucun fruit (communication A. de Barmon).
Thelocactus setispinus
Thelocactus setispinus



Thelocactus bicolor
Thelocactus bicolor

Cette asymétrie du résultat de l’hybridation est connue en botanique et, comme le montre l’exemple des épilobes ci-dessous, indique que nous sommes probablement encore en présence d’un conflit génétique au sein d’un individu.

En 1954, Peter Michaelis, généticien allemand qui étudiait les épilobes - des plantes de la famille des Onagracées - observe que le croisement de Epilobium hirsutum mâle avec Epilobium luteum femelle produit une génération F1 de plantes vigoureuses et partiellement fertiles. Mais si le croisement est répété dans l’autre sens (les sexes des espèces parentales sont inversés), la génération F1 produite est abortive ou stérile. Dans le second croisement, l’hybridation casse l’équilibre entre gènes co-adaptés au sein de chacune des espèces. Nous sommes en présence d’une incompatibilité entre les gènes nucléaires issus de E. luteum et les gènes cytoplasmique transmis par E. hirsutum : dans la cellule recomposée la machinerie cytoplasmique fonctionne mal avec le noyau des cellules et conduit au « suicide » de la descendance ou à la stérilité de la plante hybride. Ces incompatibilités nucléo-cytoplasmiques sont connues lors des hybridations de très nombreuses espèces de plantes, et ce mécanisme est probablement impliqué dans l’asymétrie d’hybridation de T. bicolor et T. setispinus. L’idée que des conflits génétiques puissent exister au sein d’un individu était tellement choquante pour Michaelis qu’il ne compris jamais le sens de ses découvertes.

3.3 - Autres problèmes possibles chez les cactées hybrides :

Les graines de cactées issues de croisements entre espèces ou genres différents donnent souvent des plantes abortives, malformées, à la croissance difficile ou faiblement vertes.

Il existe un problème d’incompatibilité nucléo-cytoplasmiques possible chez les hybrides, qui est lié au fait que les organites cytoplasmiques ne fabriquent pas eux même la totalité de leurs protéines : la majorité des protéines des mitochondries et des chloroplastes sont codées par les gènes du noyau. Ces protéines sont ensuite acheminées vers ces 2 organites cytoplasmiques pour participer à leur bon fonctionnement.

Il est possible ici aussi que l’hybridation détruise l’adaptation entre gènes nucléaires et cytoplasmiques qui existe au sein de chacune des espèces : certaines protéines codées par les gènes nucléaires d’une espèce sont difficilement fonctionnelles dans le cytoplasme de l’autre espèce. Dans les cellules hybrides, il y a alors des problèmes de synthèse de chlorophylle (au niveau des chloroplastes), la plante est blanche, ou bien le métabolisme énergétique est déficient (au niveau des mitochondries) et la plante pousse mal.

En conclusion :

Au delà de son apparence anecdotique, l’existence de plantes mâle-stériles et de la gynodioecie chez les cactées, également observés chez de nombreuses autres plantes, remet en cause les niveaux de la sélection habituellement considérés : la sélection ne cible pas des espèces, des populations ou même des individus.
A la question posée en introduction : “Qu'est ce qui est transmis d'une génération à l'autre au cours de la reproduction des cactées ?”, une réponse claire est apportée : c'est de l'information génétique qui est transmise au cours des générations et c'est sur cette information que se cristallisent in fine toutes les luttes et les enjeux pour la sélection.
Ce que montrent les expériences décrites ci-dessus avec les cactées, c'est que toute sélection à un niveau de la hiérarchie du vivant (espèce / population / individu / cellule) est dominée par la sélection au plus bas niveau hiérarchique, celui de l'information génétique : ce ne sont pas les cactus qui se reproduisent mais leurs gènes, et ces derniers sont la cible ultime de la sélection.

Avec le constat du caractère conflictuel de la coexistence entre espèces fait à partir du XVIIième siècle, puis la découverte des conflits entre individus d’une même espèce mis en évidence par Darwin au XIXième siècle, la découverte des conflits génétiques au sein d’un même individu a fait voler en éclat la dernière croyance en l’harmonie naturelle. Un individu était supposé conçu comme une entité indivisible, et constitué de parties qui ne pouvaient pas évoluer au détriment de l’ensemble de l’organisme. Mais avec le néodarwinisme (l’inclusion de la génétique dans les mécanismes de l’évolution), il devient évident qu’aucun niveau de la hiérarchie du vivant n’échappe à la sélection.



Les photos de plantes mâle-stériles de cet article ont été gracieusement fournies par Aymeric de Barmon et sont issues des plantes de sa collection. Je remercie également Aymeric pour ses commentaires sur les sujets traités, liés à l’observation de ses plantes, et pour m’avoir communiqué les résultats de ses différentes expériences d’hybridation, ainsi que Alain Laroze, également pour la communication des résultats de ses expériences liées aux sujets traités.

Auteurs : Fabrice Cendrin
Publié le : 2007/11/19.
La version originale de cet article est consultable sur Le Cactus Heuristique

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