La culture in vitro : premiers pas...
Par Mélanie Quennoz, 2001/11/11.
La culture in vitro est une technique de laboratoire qui permet de multiplier des plantes en grand nombre, dans un espace réduit. Elle est actuellement utilisée pour multiplier des plantes ou des variétés rares, poussant lentement, ne donnant pas ou peu de graines ou de rejets, ceci afin de répondre aux demandes commerciales.
Cette technique peut se décomposer en trois étapes : l'installation, la multiplication et le sevrage.
Le rôle des hormones végétales
Une hormone est un composé organique synthétisé dans un organe, transporté vers des cellules cibles dans lesquelles il déclenchera une réaction précise. Chez les végétaux, on connaît actuellement 5 groupes d'hormones, qui agissent principalement sur la division cellulaire (donc la croissance de la plante) et leur différenciation (la formation de divers organes). L'effet des hormones dépend à la fois de leur concentration, de leur site d'action, du stade de développement de la plante ainsi que de leur concentration relative (une hormone pouvant inhiber le rôle d'une autre). Vous trouverez ci-après un résumé des principales actions de ces molécules.
- Les Auxines : L'auxine extraite des végétaux est l'acide indolacétique. D'autres composés, y compris des substances synthétiques, ont le même effet (acide 2,4-dichlorophénoxyacétique, acide indole-3-acétique, acide indole-3-butyrique, acide 1-naphthalèneacétique). Sa synthèse a principalement lieu dans le méristème apical des pousses (groupe de cellules non différenciées, sans fonction autre que de se diviser et participer ainsi à la croissance de la plante). Elles stimulent l'élongation de la tige, la différenciation et la croissance des racines (sur une bouture par exemple), la fructification (les graines qui se forment produisent de l'auxine et provoquent ainsi le mûrissement du fruit). La pulvérisation d'auxines sur des plants de tomates donne des fruits sans pollinisation, et les tomates obtenues sont sans graines.
- Un bourgeon apical produit de l'auxine qui, en descendant dans la plante, inhibe la croissance des bourgeons latéraux. Il n'y a donc pas de ramification, c'est ce que l'on nomme la dominance apicale. Les auxines jouent aussi un rôle dans la capacité qu'a la plante de se tourner vers la lumière (phototropisme des feuilles) et de se diriger vers le sol (géotropisme des racines).
- Trop d'auxines inhibe la croissance cellulaire.
- Les cytokinines : Ces hormones (zéatine, BAP, kinétine, etc.) sont synthétisées dans les tissus en croissance active, plus particulièrement dans les racines, les embryons et les fruits. Elles sont transportées dans les autres organes par la sève brute (l'eau que la plante a absorbée du sol). En culture in vitro, leurs effets sont liés à ceux de l'auxine. On cultive un morceau de tige sans hormone, les cellules deviennent très grosses mais ne se divisent pas, si on ajoute une cytokinine, rien ne se passe, mais si on ajoute la même quantité d'auxine, les cellules se divisent, mais restent indifférenciées, on obtient un cal. S'il y a plus de cytokinines, le cal se différencie et des bourgeons apparaissent, s'il y a plus d'auxines, des racines se forment. Elles inhibent les auxines, provoquent la ramification, retardent la sénescence (on en pulvérise sur les fleurs coupées pour conserver leur fraîcheur).
- Les gibbérellines : Ces molécules sont produites dans les jeunes feuilles et les racines. Elles favorisent la germination des graines, le bourgeonnement après une période de dormance, l'élongation de la tige et la croissance des feuilles, stimulent la floraison et la fructification. Leur action est souvent simultanée à celle des auxines.
- L'acide abscissique : Il est produit dans les bourgeons. C'est lui qui inhibe la croissance, freine la division cellulaire, ferme les stomates en période de sécheresse et déclenche la dormance. Cet acide est soit lessivé lors de fortes pluies, soit dégradé par la lumière, mais la germination des graines dépend à la fois de la quantité d'acide abscissique, de celle des gibbérellines, et de facteurs extérieurs propres à chaque espèce (température, etc.).
- L'éthylène : C'est la seule hormone végétale sous forme gazeuse. Il inhibe la croissance et est également associé à plusieurs processus de vieillissement (chute des feuilles, maturation des fruits). Il favorise la maturation des fruits, en dégradant la paroi des cellules, ce qui ramollit le fruit, bloque la synthèse de la chlorophylle, le fruit perd sa couleur verte. C'est aussi l'hormone de la floraison chez certaines plantes. Exemple : placez un plant d'ananas dans un sac plastique avec quelques pommes presque mûres (elles dégagent de l'éthylène), laissez-le ainsi quelques semaines, et vous verrez apparaître la hampe florale de votre plante.
L'installation
C'est la phase qui consiste à désinfecter les boutures (mamelon avec aréole, racine, bourgeon, etc.) ou les graines afin de les rendre stériles, avant de les placer sur un milieu de culture approprié. Différentes méthodes existent, deux sont présentées ici :
Méthode 1
Matériel
- Eau stérile
- Papiers-Filtres non stériles
- Agrafeuse
- Un bécher (ou récipient servant de poubelle)
- Une minuterie
- Solution à 0.8 % de Javel, contenant 2 gouttes de mouillant (Triton, teepol, liquide vaisselle,…)
- Solution à 3 % de Kohrsolin (Bode) liquide de désinfection du sol.
- Alcool 70%
Méthode
- Placer les graines dans un sachet fait à partir de papier-filtre plié et agrafé.
- Mouiller le sachet dans un bain d'alcool 70 %.
- Placer le sachet dans le mélange Javel 0.8 % + mouillant pendant 15 à 20 minutes et agiter de temps en temps.
- Vider la Javel, rincer une fois le sachet à l'eau stérile.
- Placer le sachet dans le bain de Kohrsolin 3% durant 15 à 20 minutes et agiter de temps en temps.
- Vider le récipient et rincer trois fois à l'eau stérile. Chaque rinçage durant plusieurs minutes.
- Placer les graines sur milieu de culture.
Attention, ne rien écrire sur les sachets, tout s'efface !
Installation de boutures :
Le principe est le même, des bourgeons avec suffisamment de tissus sont placés dans l'alcool, puis dans la javel, puis dans le Kohrsolin et enfin rincés. Ensuite, ils sont retaillés et placés sur milieu de culture.
Méthode 2
Matériel
- Eau stérile
- Alcool 70%
- Solution à 0.2% de HgCl2
Méthode
- Laver les boutures à l'eau courante.
- Les placer dans l'alcool à 70% durant 45 secondes.
- Les placer dans la solution de HgCl2 pour 3 minutes.
- Rincer cinq fois à l'eau stérile.
- Rafraîchir les surfaces de coupe et placer les boutures sur leur milieu de culture, la coupe touchant le milieu.
Milieu de culture :
Il existe une multitude de milieux de culture. Ceux-ci doivent fournir à la plante tous les éléments nutritifs dont elle a besoin. On distingue deux types de milieux, ceux ayant une consistance liquide et servant aux cultures de cellules, et ceux 'solides', ayant la consistance d'un flan, servant aux cultures de tissus, bourgeons, racines ou cals.
Celle que je présente ici est celle que j'ai eu l'occasion d'utiliser avec de bons résultats. C'est un milieu Murashige-Skoog enrichi de divers éléments, dont des vitamines.
Elément | Quantité, en mg/l |
---|---|
KNO3 | 1900 |
NH4NO3 | 1650 |
CaCl2 * 2 aq. | 440 |
MgSO4 * 7 aq. | 370 |
KH2PO4 | 170 |
MnSO4 * 4 aq. | 16,9 |
ZnSO4 * 7 aq. | 8,6 |
CuSO4 * 5 aq. | 0,025 |
H3BO3 | 6,2 |
KI | 0,83 |
Na2MoO4 * 2 aq. | 0,25 |
CoCl2 * 6 aq. | 0,025 |
Na2 EDTA | 37,2 |
FeSo4 | 27,8 |
Myoinositol | 100 |
Thiamine-HCl | 1 |
Acide nicotinique | 0,5 |
Pyridoxine HCl | 0,5 |
Saccharose | 30000 |
Agar | 6000 |
pH | 5,7 - 5,8 |
La multiplication
En horticulture, on prélève un groupe de bourgeons (une tige), on le met à raciner (bouture, marcottage), on le laisse grandir, et on peut reprendre un autre groupe de bourgeons et ainsi de suite.
Avec les cultures en laboratoire, et grâce aux hormones, il est théoriquement possible de multiplier une plante à partir d'une seule cellule. Le choix des hormones et de leurs concentration doit être optimisé pour chaque espèce afin que cette théorie soit réalisable. Beaucoup de plantes ne sont que peu étudiées, surtout parce qu'elles n'ont pas ou peu de valeur économique.
Plusieurs techniques de multiplication existent, chacune avec leurs avantages et inconvénients, je vous présente ici certaines d'entre elles. Les concentrations des hormones ont été optimisées pour Coryphanta elephantidens, et elles ne sont malheureusement pas valables pour tous les cactus.
- De bourgeon à bourgeon : Des tubercules sont prélevés sur une plante adulte, désinfectés et mis en culture sur milieu MS contenant 3% de sucre (saccharose) et 6.6 ?M 8-benzylaminopurine (une cytokinine). Sur chaque tubercule se forment alors plusieurs bourgeons, qui peuvent être repiqués sur milieu MS. Ces bourgeons s'enracinent et un petit cactus se forme. C'est la première méthode de multiplication, à ce stade, on peut soit les sevrer, c. à d. les mettre en terre, soit les réutiliser comme boutures pour reformer des plantes, c'est ce qui a servi dans cet exemple.
- De bourgeon à bourgeon avec une phase de cellules non différenciées : Les pointes des racines sont prélevées (les meilleurs résultats ont été obtenus avec des fragments de 1 cm de long) et mises en culture sur milieu MS contenant 3% de sucre, 4.6 ?M de kinétine (cytokinine) et 9.06 ?M d'acide 2-4-dichlorophénoxyacétique (auxine). Ces fragments sont placés à l'obscurité durant une semaine, afin de ne provoquer aucune différenciation des cellules puis placés à la lumière. On obtient alors des cals (amas de cellules non différenciées) qui peuvent être fractionnés à l'infini, même si certains dégénèrent après quelques repiquages. Les cals laissés à la lumière et repiqués sur un milieu MS contenant 7% de sucre, 4.6 ?M de kinétine (cytokinine) et 2.2 ?M d'acide 2-4-dichlorophénoxyacétique (2-4-D) se différencient en une structure nodulaire verte compacte puis en bourgeons verts à tubercules proéminents portant des épines blanches.
- En optimisant chaque concentration d'hormone et de sucre, on arrive à produire trois cactus par cal. Chaque petit cactus peut enfin être placé sur milieu MS sans régulateur de croissance où il formera des racines après environ deux semaines.
- De bourgeon à bourgeon avec une phase de cellules non différenciées : Après avoir obtenu des cals friables ( en augmentant la quantité de 2-4-D), on les place en milieu liquide sous agitation continue. Cette étape a pour but d'isoler les cellules. Chaque cellule ou groupe de quelques cellules est alors placé sur un milieu contenant des hormones permettant la différenciation. On obtient ainsi un bourgeon par groupe de cellules. Ce bourgeon sera ensuite repiqué sur milieu MS où il formera des racines.
Enracinement :
Le traitement aux hormones pour la production de racines est inutile pour la plupart des Cactaceae. On dispose les pousses sur milieu MS standard (ou CMS), et les racines apparaissent environ deux semaines après inoculation.
Le sevrage
C'est la mise en terre, le passage des conditions de laboratoire aux conditions de serre. Cette phase s'avère souvent critique, car les plantes en tubes ont perpétuellement leurs stomates ouverts (pores permettant les échanges gazeux oxygène, CO2, vapeur d'eau, entre la plante et son environnement), et ne savent plus les fermer. Même les plantes succulentes peuvent sécher si le changement d'environnement se fait trop brusquement.
En prenant quelques précautions, le taux de survie atteint les 100%.
- Les tubes ouverts sont placés dans une serre sous brouillard sec (fine brumisation de gouttes si fines qu'elles ne se déposent pas, humidité relative 100%) pendant 2 jours.
- Les plantes sont sorties de leur milieu de culture, les racines sont nettoyées, puis elles sont mises en terre, placées à nouveau dans un lieu très humide pour une semaine, puis elles prennent place dans une serre normale.
- Les plantes enracinées sont placées dans un substrat composé de 50% de sable et autant de vermiculite, placées sous cloche (ou film plastique), et arrosées un jour sur deux durant deux semaines. Enfin, elles sont rempotées dans leur pot définitif avec un substrat adéquat.
Remerciements
Je tiens particulièrement à remercier Guillaume Lenormand qui m'a donné le feu vert pour la parution de ce texte. Merci également à Yann, qui a su attendre patiemment la venue de cet article durant de longs mois. Et enfin merci à tous ceux qui ont pris la peine de m'avoir lu, certains y auront, j'espère, trouvé des idées à tester ou des informations utiles, d'autres aussi l'ennui d'une lecture digne d'un dimanche matin pluvieux, je m'en excuse auprès d'eux.
Auteur : Mélanie Quennoz.
Publié le : 2001/11/11.
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Note du webmestre : certaines opérations décrites ici peuvent être délicates, les produits cités peuvent être dangeureux. Prenez toutes vos précautions si vous tentez une mise en pratique. Merci également à Alain pour l'ultime relecture.